Le voyage avait duré près de deux mois et dire que Cersei était contrariée serait un euphémisme. Sa mauvaise humeur s'était installée dés que Robert avait évoqué un voyage à Winterfell, et elle ne l'avait pratiquement plus quittée depuis. De toute sa vie, c'était la première fois qu'elle était appelée à visiter les Terres du Nord, et l'idée ne la mettait pas le moins du monde en joie : que son époux se tape des catins de toutes les contrées était une chose qui ne l'affectait même plus depuis bien des années, mais devoir faire bonne figure devant cette immonde famille Stark était quelque chose qu'elle n'était pas sûre de réussir à accomplir. Comment, par les Sept Enfers, l'idée de marier l'une des filles du Nord à Joffrey lui était-elle venue, elle l'ignorait. Mais elle avait une certitude : elle ne  laisserait pas n'importe qui toucher à son précieux garçon.  

Les présentations venaient à peine d'être faites lorsque la phrase à la fois tant attendue et tant redoutée avait été prononcée ; la lionne s'y était attendue, mais pas de sitôt. Connaissant le vieux Barathéon, elle avait pourtant pensé qu'il prendrait le temps de boire l'équivalent de trois ou quatre pichets de vin et de se taper l'une ou l'autre pute avant de songer à la piété. De son côté, il était tout bonnement hors de question pour Cersei de mettre les pieds dans ce fameux sanctuaire. À ses yeux, ce serait comme pactiser avec l'ennemi et enterrer la hache de guerre, ce qui lui était tout bonnement inenvisageable. Comment pardonner à une imbécile défunte de lui avoir fichu toute sa vie en l'air pour une simple amourette qui les avait tous conduis au désespoir voir à la mort ? Si seulement elle était née homme... Elle leur aurait tous fait ployer le genou pour mander sa clémence, qu'elle ne leur aurait bien entendu pas accordée. Au lieu de ça, elle était née avec le mauvais outillage entre les jambes et devait se cantonner à une place inférieure et subir les pires humiliations sans rien pouvoir répliquer. Ce qu'elle aurait aimé être Jaime...  

Après l'affront qu'elle venait de subir, elle n'avait aucune envie de supporter la présence d'hommes au service de Robert ; elle se sentait déjà suffisamment espionnée comme ça, et l'idée que quiconque puisse rendre des comptes à son époux lui donnait la nausée. Heureusement pour la lionne, la louve décida de la laisser peu de temps après lui avoir montré la chambre qui lui était offerte, lui laissant ainsi l'opportunité de se servir une coupe du vin se trouvant à sa disposition ; pas aussi bon qu'à Port-Réal, mais ça ferait l'affaire. Un fin sourire étira finalement ses lèvres lorsqu'elle entendit la porte grincer, annonçant l'arrivée imminente d'un visiteur. 

Si au premier abord, une épopée jusqu'aux terres nordiques ne l'avait pas tellement ravi, la longue route lui avait rapidement fait changer son fusil d'épaule. L'éloignement de la capitale lui faisait du bien, éviter tout ces complots, ces manigances le reposait. D'ailleurs, Jaime commençait même à trouver des points positifs à ce voyage. Tout d'abord, on le reconnaissait beaucoup moins, ce qui lui évitait d'entendre à longueur de journée son affreux surnom de régicide. De plus, il chevauchait, et s'il y avait bien quelque chose qu'il appréciait autant que le combat à l'épée, c'était de faire du cheval. Et finalement, une fois arrivé, il aurait sûrement tout le loisir de passer du temps en compagnie de sa jumelle, le roi Robert étant toujours beaucoup plus distrait en compagnie de son grand ami Ned. Ce qui faisait donc plusieurs raisons à son petit sourire satisfait qui pointait au coin de sa lèvre en approchant de Winterfell. Les Stark... la célèbre famille née de rien, mais qui en possédait déjà trop pour s'en faire des ennemis.   

La présentation avait officielle avait été plutôt rapide, bien que l'on sentait les deux camps assez tendu. Seul le roi semblait à son aise, le ventre rond en avant, en total confiance. Jaime gardait tout de même une main sur son épée, prêt à intervenir au moindre mouvement incertain. Ce n'était pas seulement la royauté qu'il protégeait, mais surtout sa sœur, et ses neveux.
Au loin, il vit le roi Baratheon se diriger vers les cryptes, ce qui n'était pas étonnant de la part d'un homme totalement obsédé par son amour passé. Jaime pouffa intérieurement, le trouvant ridicule.

C'était toujours de cette façon qu'il s'adressait à ses hommes, tel un chevalier arrogant, fier et dénué d'intelligence. Oh certes, on le connaissait fin stratège et meilleure lame du royaume, mais personne ne savait qui le Régicide cachait en son fort intérieur. En réalité, sa dangereuse vie l'empêchait d'être drôle et généreux comme il pouvait l'être. A éviter les empoissonnements, à se préparer pour l'hiver qui vient et à retenir ses pulsions, il ne cessait d'être dans le contrôle. Pourtant, un moment de répit semblait s'offrir à lui. Là, lady Stark qui s'en allait rapidement dans ses appartements, mal à l'aise. La voie était donc libre. Avec un grincement, il poussa la porte d'une chambre. Elle était là, si élégante et polie à goûter le vin. Que ferait-elle donc sans vin d'ailleurs ? Ravi, Jaime referma délicatement la porte derrière lui. Les gens ne les soupçonnaient de rien, mais il restait un chevalier prudent.

Contrairement à son frère, la reine ne se réjouissait pas le moins du monde de ce changement de paysage et d'atmosphère. À Port Réal, elle savait qui manipuler, de qui elle devait se méfier, en qui elle pouvait avoir à peu près confiance, ... ici, tout lui était inconnu. Et s'il y avait bien une chose dans le monde que Cersei Lannister abhorrait autant que les faibles, c'était de ne pas avoir le contrôle ; sur elle-même comme sur les autres, d'ailleurs. Dans la famille Lannister, chacun des enfants avait toujours occupé une place bien définie : Jaime représentait la force, Tyrion – bien que sa sœur et leur père ne l'admettrait jamais – était le plus rusé et elle-même... était la manipulatrice autoritaire du trio, prête à absolument tout pour obtenir et conserver ce qu'elle désirait le plus au monde : le pouvoir. Si seulement elle pouvait occuper le trône à elle seule sans se soucier de tous ces abrutis...  

Même si elle était plutôt fière et satisfaite d'avoir réussi à tolérer son époux à ses côtés durant autant de temps sans qu'ils finissent par s'entre-tuer, ses nerfs avaient été mis à rude épreuve. Si seulement elle avait été certaine de ne pas devoir faire de nouvelle apparition publique avant le lendemain elle se serait volontiers laissée aller à quelques coupes de vin susceptibles de la rendre d'humeur plus joyeuse, mais c'était bien trop risqué. Quoi qu'avec Jaime dans les parages, les choses risquaient de facilement dégénérer et le peu de bon sens qu'il lui restait pouvait rapidement être balayé...

Après lui avoir tendu une coupe pleine et lui avoir laissé le pichet à portée de main, Cersei s'éloigna pour porter son regard émeraude sur l'une des fenêtres de l'immense chambrée afin de s'assurer que ses enfants avaient bien été escortés jusqu'à leurs chambres respectives. Pas qu'elle remettait en cause son autorité – loin de là – , mais elle se méfiait de plus en plus de Robert et craignait de plus en plus pour la sécurité de son aîné. Comment en aurait-pu en être autrement après avoir constaté qu'il mettait de plus en plus Joffrey en danger, semblant décidé à l'entraîner fréquemment dans des champs de bataille quelconques ou à la chasse ? Elle qui avait déjà tendance à être extrêmement protectrice telle une lionne envers sa portée, il ne lui fallait guère ça pour la rendre encore un peu plus soucieuse.

Pour quelqu'un d'aussi narcissique et possessif que l'héritière des Lannister, il était tout bonnement impensable de songer marier son fils à quiconque ; personne ne serait jamais assez bien pour lui. Déjà qu'il était contraint de subir un blason de cerf au lieu de celui de lion qui lui revenait de droit...   Oh oui, Joffrey était un parfait Lannister. Aux yeux de Cersei, il était même un véritable sosie de Jaime plus jeune. Sans doute étais-ce d'ailleurs pour cela qu'elle l'avait toujours un peu favorisé par rapport aux autres, même si elle nierait farouchement ces accusations si quiconque osait les profaner en sa présence. Mais c'était ainsi, Joffrey serait toujours son premier né, sa plus grande fierté, son Jaime miniature... avec peut-être quelque chose en plus : sa cruauté et sa constante quête pour le pouvoir, tout comme sa mère.

Pouvant se délaisser de son statut de chevalier le plus célèbre du continent, le grand blond s'installa confortablement dans un fauteuil libre de la pièce. Si le Nord n'offrait pas un climat agréable à vivre, il fallait tout de même avouer que leurs peaux de bêtes recouvrants la plupart des sièges étaient très agréables. Son armure lui pesant sur les épaules après cette énième journée de route, Jaime commença à la retirer, plutôt lentement, car ses mouvements étaient de moins en moins vifs au fur et à mesure que la nuit tombait. Il avait toujours cette façon de tenter d'ignorer sa sœur lorsqu'ils se retrouvaient seuls, peut-être pour éviter une quelconque tentation, ou plutôt pour voir si la reine réagissait à son manque d'intérêt.   

Ce n'était même pas de la gentillesse, mais presque de la dévotion. S'il y avait bien une chose qui comptait à ces yeux, c'était elle. Et ses enfants. Enfin, les leurs plutôt.

Possessif et jaloux, Jaime cachait bien son jeu. Pourtant, si quelqu'un savait à quel point il détestait le roi, c'était bien Robert lui même, qui ne cessait de le provoquer en retour. C'était presque comme si celui ci savait tout à propos de sa relation interdite avec Cersei. Un sourire au coin de la lèvre, le chevalier releva les yeux sur la blonde, occupé à sa fenêtre. La voila qui commençait à s'inquiéter, déjà. Et c'était toujours à propos des enfants. Mais que pouvait-elle faire d'autres, elle à qui on ne confiait pas de guerre pour se divertir ?

D'un regard mêlant l'intérêt et l'admiration, la reine suivit tous les faits et gestes du chevalier d'or. Ce fut en voyant les muscles dorsaux de son frère se dessiner lorsque celui-ci commença à ôter son armure qu'un léger sourire étira les lèvres de la reine, celle-ci se rappelant à quel point elle avait été déçue de voir les changements progressifs de leurs corps respectifs au cours du temps. Toutes ces journées passées à emprunter l'identité de l'autre lorsqu'ils étaient enfants, juste pour voir à quel point leurs occupations différaient avaient été rendues impossibles dés que sa poitrine avait commencé à faire son apparition. Finies, les après-midi à se prendre pour un chevalier – bien qu'elle ait toujours moins bien manié l'épée que son frère- et bonjour la couture, le chant et les bonnes manières sans interruptions prolongées ! Heureusement pour elle – pour eux –  , ils avaient rapidement réussi à trouver d'autres jeux bien plus intéressants à combiner avec leurs nouvelles apparences.  

Sur ces paroles, la blonde avala le restant de sa coupe d'un trait pour aller se servir un nouveau verre. Finalement, les convenances seraient mises de côté pour ce soir ; il lui faudrait bien plus d'une coupe pour apaiser sa frustration. Quoi qu'en entendant le ton sur lequel son frère venait de poursuivre la discussion, sûrement était-il dans un état proche du sien pour d'autres raisons, et le vin serait sûrement tôt ou tard accompagné de choses d'autant plus agréables.
 

Venant d'une autre personne, ces paroles auraient pu paraître effroyables. Mais venant de l'héritière des Lannister, ce n'était même pas surprenant. À vrai dire, ce qui était plus étonnant dans cette histoire, c'était de constater que son époux avait survécu autant de temps avec elle à ses côtés. Le temps que Joffrey soit assez grand que pour prendre quelques décisions par lui-même tout en la laissant assurer la régence, en réalité. Que vouloir de plus ? Elle aurait enfin le pouvoir qu'elle désirait tant, tout en mettant son fils adoré sur le trône tout en se débarrassant de l'homme qui l'avait  tant faite souffrir. Ce serait parfait, absolument parfait.